La liste de mes listes

J’aime bien faire des listes.
Je crois que je ne suis pas le seul.
Je ne suis certainement pas le seul non plus à ressentir ce qu’une liste a de magique ; une fois établie, écrite, crochée au mur, elle apporte l’impression revigorante que l’action est à moitié engagée, presqu’accomplie, c’est une promesse rassurante qui permet de se projeter dans le futur. C’est, dès aujourd’hui, l’idée que tout à l’heure je ferais ceci, et que demain je ferais cela. Certains diraient même qu’une liste bien faite, c’est tout à la fois l’affirmation du devoir bien compris et la possibilité de le reporter au lendemain. Soit dit en passant, la liste des trucs que j’ai un jour inscrit sur une liste que j’ai oublié de lire – la liste -, et donc de faire – les trucs – ferait un assez beau catalogue, et qui pourrait donner des idées à un éditeur en panne de guide pratique.
Bref.

Mais foin de généralité ; si on met de côté les listes de courses, d’invités, de menus travaux domestiques et de devoirs à faire, et en se limitant au pur champ littéraire, depuis le catalogue des navires de l’Iliade, en passant par les aïeux et les prophètes de l’Ancien Testament, les saints et les bienheureux de la Légende doré, les mille recettes de Ginette Mathiot et les Exercices de styles de Raymond Queneau, jusqu’aux récentes envies de Grégoire Delacourt, la liste a un palmares enviable.

Moi-même, j’en ai d’assez belles à mon actif. Comme tout le monde, j’ai bien sûr fait des listes de livres à lire, mais j’ai vite arrêté : soit je les égarais dans une bibliothèque ou entre les pages d’un livre, ce qui les rendaient inutiles ; soit je les suivais et elles devenaient alors des listes de livres lus, de peu d’usage ; voire, pire, elles m’induisaient à relire un livre lu en croyant, trompé par l’intitulé de la liste, ne pas l’avoir déjà lu. Bref.

Dans le domaine de la pratique littéraire – si j’ose dire vu ce que je me prépare à écrire juste après – dès tout jeune, j’ai fait la liste des titres des livres que j’écrirais un jour. Je me souviens que rêver à ces titres me détournait heureusement de l’activité fastidieuse d’écrire les histoires fumeuses qu’ils m’inspiraient vaguement. Je me souviens aussi – le temps qui passe m’a fort heureusement débarrassé de cette liste – qu’après une douzaine de titres plutôt ronflants et décalqués de lectures toutes fraîches – « La revanche du trappeur maudit » ; « Yvanhoé contre Fantômette »… – j’avais trouvé l’expédient pragmatique d’aligner les « oeuvres complètes, tome 1, tome 2, tome 3… » jusqu’en bas de la page.

Plus tard, j’ai fait des listes de rimes riches et poétiques, avant de découvrir que des dictionnaires ad hoc débordaient d’excellentes propositions ; mais que de toutes façons la rime n’était pas le problème, mais bien le poème où les accrocher – sauf à faire des emprunts peu courtois au trop méconnu Adoré Floupette. Et puis depuis un an, les brouillons de ce blog comptent quelques projets plus ou moins avancés et qui verront peut-être le jour.

Mais aujourd’hui, j’ai été tenté par l’expérience de faire une liste des projets qui me plaisent tant que je préfère les garder à l’état de projet pour ne pas risquer de les abîmer en essayant de les réaliser maladroitement. Soit, très précisément, une liste de projet à ne pas mener à terme, mais à conserver précieusement pour nourrir mes rêveries procrastinatrices.

De fait, il y en a d’assez plaisants, propres à interpeller le lecteur, et qui en étonneraient ou en amuseraient sans doute plus d’un ; mais je me suis bientôt fait cette réflexion qu’il y avait inconvénient à rendre publique cette liste. Non que je craigne que quelqu’un de plus opiniâtre s’amuse à mener un de mes projets à terme, voire au succès : je ne suis pas responsable du labeur des autres. Non, plus gênant pour moi, si par mégarde il m’arrivait de mener un de ces projets à terme ! Certes, je pourrais discrètement  le biffer de la liste. Mais reste le risque qu’un lecteur à la mémoire vivace m’interpelle pour me rappeller que j’avais planifié de ne pas l’écrire ! Sans compter que le dit lecteur – et aussi moi-même –  pourrait aussi être aussi déçu par l’aboutissement qu’il aurait été enthousiasmé par le projet. Double déception et double mortification, donc, et pour lui et pour moi. Décidemment, il est des domaines où le secret est préférable.

Ah, si ! Si quelqu’un veut me piquer une idée, j’aimerais bien écrire une version de Moby Dick où il ne serait jamais question, même de façon allusive, même sous forme métaphorique, même en creux,  d’Achab, d’Ismaël, de baleine ou de cachalot, de mer ou de pêche. Mais faut faire vite, parce c’est un gros bouquin et que la journée mondiale des baleines se termine ce soir et qu’on ne sait pas s’il y en restera beaucoup dans un an !

* * *

Précisions utiles :
– Le « je » qui raconte est fictif. L’auteur ne saurait donc être tenu pour responsable des propos tenus ici à la première personne du singuyer.

– Adoré Floupettte est l’invention de Gabriel Vicaire et Henri Beauclair, auteurs en 1885 d’une charge moqueuse contre la poésie décadente. Arroseurs arrosés, leur Déliquescences ont aujourd’hui le charme désuet des Décadents qu’elles parodiaient.

– Et les baleines ? Penser à elles un jour par an ne va pas les mener bien loin.

*

et on me signale aimablement que je suis passé à côté du Vertige de la liste d’Umberto Eco.

34 commentaires

  1. Bonjour Carnetsparesseux
    Plutôt classe sur une « to do » liste :
    « 1/ Prendre les vêtements au pressing,
    2/ acheter du lait,
    3/ écrire un roman »😄😄😄

  2. Je n’aime pas faire de listes…pour toutes les bonnes raisons que « je » donne ! Sauf les listes de livres à lire, de livres lus (et je ne me trompe jamais, à savoir relire un livre lu) !
    On attend les romans de « je »…. ou des nouvelles ! 😀

    • Pourtant, c’est un plaisir de relire un livre (surtout en pensant ne l’avoir jamais lu).
      Alors que les oeuvres complète de « je », « on » n’est pas près de les relire ! 🙂

      • Hi hi ! Je suis d’accord, je relis aussi certains livres que j’ai aimés à un ou deux ans d’intervalle mais ce que je voulais dire c’est que je ne « rachète » pas (par mégarde) un livre que j’ai déjà lu ! 😉 Quant à « Je », sans aller jusqu’aux oeuvres complètes en fa majeur, un petit extrait de 200 pages serait déjà bien, si toutefois l’envie lui prenait ! 🙂

  3. Commencez par faire une liste de toutes tes listes , peut etre a explorer , mais ca ne fait que seulement ajouter une liste de plus . Original et travailler par rapport aux autres listes que j’ai vu , la il y a du boulot .

    • Merci Harpie ; je crois que les autres listes que tu as vu cette semaine suivent la consigne « 366 réels » de Queneau, avec pas plus de cent mots ; et c’est beaucoup plus difficile de faire court que de s’étaler !

  4. Comme « je » n’est pas « toi », je peux écrire « tu » sans que tu te sentes concerné…donc, pourquoi n’écrirais-tu pas un livre avec un éléphant d’Asie, un panda géant, un tigre du Bengale, un gorille (zut, faut faire une liste!) qui sont aussi en voie de disparition…

    • Mela,
      une histoire avec des espèces en voie de disparition,racontée par un dodo ? 🙂
      Le souci, c’est qu’il y a malheureusement beaucoup d’espèces « candidates », et aussi que, sur le modèle des « 10 petits nègres » d’Agatha Christie, ça finirait en monologue…

      Mais c’est une très belle idée que je rajoute sur ma liste. Et si tu veux me « l’emprunter », n’hésite pas !
      Chiche ?

    • Et tant pis pour les baleines, reste les autres jours pour les sirènes … ce qui me fait penser à Pénélope, en tête de liste …

  5. Dans les listes à faire (ou pas), merci de ne pas oublier celles :
    – des rêves qui s’effacent,
    – des gouttes de pluie qui tombent,
    – des émotions qui passent,
    – des rendez-vous ratés,
    – des mots pas prononcés,
    – des mots pas entendus,
    – des objets oubliés,
    – des souvenirs retrouvés et de ceux qu’on oublie

  6. J’aime beaucoup toutes tes listes Carnetsparesseux

    – Celle des livres à lire qui deviennent lus puis à relire
    – Celle des livres que tu n’as pas encore écrits (au passage dans Léviathan. 99 de Bradbury le capitaine d’un vaisseau spatial est à la poursuite d’une comète qui s’appelle Moby Dick … Je crois… Bientôt une journée des comètes ? )
    – Tes emprunts à Adoré Floupette, poete décadent ,.,m’ont fait sourire (je ne le connaissais pas 🙂
    – Et tes projets à ne pas écrire aussi 🙂
    Bon week end

    Question subsidiaire : tu as des playlist ?

    • Merci Valentyne,
      non, pas de playlist, mais une clef usb avec, en vrac, des morceaux sans titres (enfin, titrés « titre1, titre2, titre3… » dont je mélange les auteurs…:)

  7. J’ai une sainte horreur des listes, mais parfois c’est ce qu’il faut faire…

    Tu as été désigné par nos lecteurs pour organiser un prochain concours à la suite de l’agenda ironique de Suzanne. Félicitations.

  8. Et que se passera-t-il si tu égares ta liste des projets à ne pas mener?
    Vite, fais une liste des listes à ne pas perdre et ne perds surtout pas celle-là!

    • Si j’égare la liste des projets à ne pas mener, on risque de voir de drôles de choses se réaliser !!
      quant à la liste des listes à ne pas perdre, elle est déjà pleine…et perdue !

  9. J’aime beaucoup aussi les listes, en faire, en lire. Il me semble que le plus passionnant, quand on se met à faire une liste, c’est l’illusion de voire une réalité dans sa globalité, tout en saisissant son côté fragmentaire. Je dis illusion, car on oublie toujours quelque chose, plus ou moins volontairement…

    • Oui, la liste est une espèce de filet dont les trous sont aussi importants que les mailles 🙂
      et faire une liste permet d’oublier les choses à faire, c’est le joli, et le paradoxe, de la chose.

  10. Ton article me rappelle un atelier d’écriture avec Patrice Caumon, au cours duquel nous écrivions le titre des romans que nous n’écririons pas; belle liste.
    Il faut que je note sur la liste des choses à faire de rechercher cette liste… 😉

  11. Bon, je vois que la listite est une maladie très répandue et même contagieuse, d’où évidemment la liste des médicaments pour soigner le mal, mais une fois guéri, qu’adviendra t-il de notre canard paresseux?? Une brusque envie de listes? Listériose ! maladie encore plus grave. Que choisir ?

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