Tout le jour, Schahriar, l’esprit ailleurs, s’efforce de suivre le protocole qui régit les journées du palais. Heureusement, tout est si précisément réglé et organisé dans une journée de sultan qu’il lui suffit de peu d’effort pour jouer son rôle convenablement.
Mais si ses gestes sont emprunts de leur nonchalance habituelle, son esprit s’agite : vit-il une vraie journée, ou bien un jour de fantaisie ? S’il est devenu un personnage de conte, tout devient possible, et il doit douter de tout et prendre en compte les conséquences possibles : par exemple, est-ce que les paons qui dorment dans le jardin sont de simples paons stupides, ou bien des princes ensorcelés ? S’il s’agit de princes ensorcelés, il conviendrait de les nourrir avec autre chose que des graines de pastèque. L’idée qu’il puisse s’agir de princes ensorcelés stupides et amateurs de graines de pastèque ne lui vient pas à l’esprit.
Et est-ce que la barbe du grand vizir, dont celui-ci est si fier, est une vraie barbe faite de poils qui poussent au menton d’un homme ou bien une barbe magique ? Et dans ce cas, cette barbe retient-elle prisonnier un génie ou une princesse kazakhe ? Alors, ne faudrait-il demander à l’alchimiste du palais comment libérer l’éventuel génie pour le faire œuvrer à la gloire du sultan ? Où, au moins, ne devrait-il pas se comporter plus convenablement envers cette barbe, avec le respect dû à une princesse kazakhe, par exemple ?
Hum, est-ce que le protocole dit quelque chose de ce cas de figure ? Et comment faire cela sans offenser le grand vizir ? Ou la princesse kazakhe ? Ou les princes ensorcelés ? Ou les paons ?
À qui demander de l’aide ?
À son grand vizir, toujours si sûr de lui et si imbu de sa belle barbe tressée d’or ? À la première question, celui-là va s’incliner avec déférence, faire semblant d’écouter en caressant sa barbe, puis il dira « hum hum » avant de s’incliner derechef et de s’éloigner dans un bruissement de babouches, majestueux comme si c’était lui qui donnait audience…
À son grand conseil, composé d’oncles et de cousins qui ne rêvent que d’avoir les dents assez aiguisées pour grignoter les miettes de sa fortune, à défaut de les avoir assez longues pour oser croquer son titre et son pouvoir ? Non, ils vont encore se chamailler, se contredire et si bien embrouiller la question qu’en moins d’un moment il aura oubliée la sienne.
Au chef de sa police secrète ? Et que ferait-il, celui-là ? Envoyer la garde patrouiller en ville, poser des questions dans les tavernes, dans le souk, pour s’enquérir de Bacbouc, de Shakashik, d’Al-Haddar et d’Al-Hakik ? Doubler le guet sur les murs du palais, monter une souricière devant la poterne ? Et même s’il les trouve, comment arrêterait-il des personnages fictifs ? Non, la police, même secrète, c’est encore le meilleur moyen pour que tout Bagdad sache avant la nuit que le Sultan est égaré dans un conte et reçoit des invités imaginaires ! Autant confier la nouvelle aux muezzins pour qu’ils la clament du haut des minarets.
Reste Shéhérazade. De tout le palais, elle est certainement la plus versée dans les us et coutumes des contes et sait forcément ce qu’il faut faire face à des personnages récalcitrants. Mais elle va encore lui raconter des histoires, et il est las des histoires.
Le sultan est à ce point perdu dans ses réflexions que la journée puis la nuit s’écoulent sans qu’il s’en aperçoive : bientôt l’aube point à l’horizon et l’appel du muezzin l’oblige à regagner ses appartements.
* * *
Si vous avez manqué le début, la 1002e nuit est là. L’épisode suivant, ici.
Que se passe-t-il quand on referme un livre ? Les personnages restent-ils figés dans leur dernière attitude, comme coincés entre les pages, continuent-ils tranquillement leurs petites aventures, cette fois sans témoin, ou profitent-ils de l’absence des lecteurs et de l’auteur pour régler leur comptes ? Un essai en feuilleton avec les Mille et une nuits.
Dure vie que celle de ce sultan 🙂
Vivement demain …
Pas sûr que le lendemain soit plus facile pour lui 🙂
hé, hé, hé… l’auteur va-t-il laisser ce sultan prendre un peu de repos ?
Des jours et des nuits sans dormir y’a de quoi avoir des hallucinations 😀
J’adore l’idée que la barbe du Grand Vizir puisse retenir prisonnier un génie ou une princesse kazakhe !
Et celle (à peine imagée) de princes transformés en paons stupides.
Très bon cet épisode.
ENCORE !
Merci !
Peut-être le sultan va-t-il arriver à prendre un peu de repos ; mais cela lui sera-t-il profitable ?
pour le savoir, il faudra attendre l’épisode de ce soir !! 🙂
M’enfin… Qu’y a-t-il de déshonorant à manger des graines de pastèque? C’est bon…
Je cours au prochain épisode voir si le sultan arrive à trouver un bon conseiller pour remettre un peu d’ordre dans ses esprits.
C’est vrai que c’est bon, les graines de pastèque.
Mais ça n’empêche pas, on peut être stupide et en manger, tout comme on peut en manger et être stupide 🙂
Cette série est empreinte des mystères de l’orient. 😉
Et le mystère va s’épaissir 🙂