Chacun sait que le matin qui suivit la mille et unième nuit, le sultan Schahriar dit à Shéhérazade qu’elle l’avait si bien diverti, amusé et subjugué avec ses histoires qu’il renonçait à son cruel serment : il renonçait à l’égorger au petit matin, ce jour-là et aucun des suivants ; et décidait que désormais il accorderait toute sa confiance à son épouse – elle, Shéhérazade. La journée passa comme à l’accoutumée, en plus détendu : le palais et la ville retentissaient des cris de joie des courtisans et des habitants rassurés, tandis que Shéhérazade, aidée de Dinarzade, rangeait les cahiers de notes qu’elles avaient préparés pour les nuits suivantes, au cas où…
Mais qui sait ce qui se passa lors de la mille et deuxième nuit ?
Au soir de cette nuit-là, Schahriar se couche plutôt content de lui. D’abord, il est fier de sa clémence envers Shéhérazade : grâce à lui, la pauvre petite n’a plus à craindre de mourir à l’aube ! Et puis cette nuit, plus de risque d’être réveillé par la voix de Dinarzade posant sa sempiternelle question : « Ma sœur, si tu ne dors pas et si le sultan est d’accord, veux-tu raconter la suite de l’histoire d’hier ? »
Non, cette nuit et les nuits suivantes, plus d’histoires ! Il va enfin pouvoir dormir jusqu’à l’appel de la prière du matin. Désireux de profiter de cette pleine nuit de bon sommeil, le sultan ne tarde pas à s’endormir. Mais voilà qu’en pleine nuit, il est réveillé par un murmure. Non, mais ça n’est tout de même pas Dinarzade qui recommence ?
Entre colère et sommeil, il tend l’oreille et distingue plusieurs voix, mais ni celle de Dinarzade ni celle de Shéhérazade… ces voix indistinctes semblent provenir des jardins du palais. Courroucé – mais qui a l’outrecuidance de papoter sous ses fenêtres ? -, Schahriar se lève, s’empare d’un yatagan et se glisse sans bruit jusqu’à la terrasse qui domine les jardins. De là, la vue est magnifique sur Bagdad, ses tours et ses coupoles ; cette nuit, la lune généreuse permet de distinguer la moindre ruelle au cœur du souk, la plus petite terrasse des faubourgs populeux, et, au-delà des remparts, jusqu’à la moindre cour des caravansérails où dorment les âniers et les caravanes.
Mais si Schahriar entend toujours le murmure qui l’a tiré du sommeil, il a beau scruter la nuit, il ne distingue pas âme qui vive. Les voix, maintenant plus claires, montent de l’encoignure d’une ruelle qui longe le jardin du palais ; et voilà l’étonnant dialogue qu’il saisit en tendant l’oreille :
« Mais quel nigaud !
– Enfin, Al-Fakik, les dents qui te manquent ne sont pas une excuse pour laisser passer de tels propos hors de ta bouche !
– Tais-toi toi-même, Bacbouc-le-Bossu, Fakik a raison !
– Mais oui, si cet imbécile n’était pas si paresseux… la voix vive est interrompue par une voix lente et impérieuse.
– Je ne vois pas en quoi la paresse t’offense, Shakashik-au-bec-de-lièvre, mon frère.
– Al-Haddar, mon frère, pardon : tu es certes le prince des paresseux, mais tu n’es pas pour autant aussi stupide que lui ! »
La nuit est douce, et le sultan s’amuse de la situation : voilà qu’il joue à l’espion, comme le calife Al-Rashid des contes de Shéhérazade. Et il se demande en souriant quel est le malheureux qui mérite de tels qualificatifs de la part de ces quatre frères aux surnoms pittoresques, Al-Fakik-l’édenté, Bacbouc-le-Bossu, Shakashik-au-bec-de-lièvre, et Al-Haddar-le-paresseux !
Mais voilà que l’aube blanchit au-dessus des remparts, et l’appel du muezzin retentit dans Bagdad. Schahriar le sultan n’a que le temps de regagner sa chambre et de se préparer pour la prière du matin.
la suite….lors de la 1003e nuit
* * *
Que se passe-t-il quand on referme un livre ? Les personnages restent-ils figés dans leur dernière attitude, comme coincés entre les pages, continuent-ils tranquillement leurs petites aventures, cette fois sans témoin, ou profitent-ils de l’absence des lecteurs et de l’auteur pour régler leur comptes ? Après On achève bien les chevreaux et la Petite marchande d’allumettes , voici une troisième suite-après-la-fin.
Bonsoir,
Après avoir vu quelques uns de tes commentaires chez des gens que je fréquente, je suis venue voir ton blog et me suis permise de m’y abonner.
Cette démarche d’imaginer des fins après la fin des livres est très intéressante. Et celle-ci est réussie. (on s’y croirait à Bagdad…).
Bonne soirée,
Mo
Bienvenue Mo, tu as bien fait de te permettre 🙂
et merci pour ton commentaire.
épatant et bien dans l’ambiance, j’ai hâte de lire la suite
Merci Emma. Il suffit d’attendre la 1000 & 3e nuit pour avoir la suite !
Encore! je veux connaître la suite de la suite après la fin!
Patience, il y a aura une 1000 & 3e nuit, et même une 1000 & 4e…..(la suite de la suite de la suite)
Et hop on est parti pour faire 2002 nuits
Merci de ton enthousiasme ; mais, euh, on va déjà essayer d’aller jusqu’à la 1003e nuit 🙂
je te suis!!!
Merci !
Hé, hé… encore une histoire à feuilletons passionnante !
Et la suite du feuilleton arrive très bientôt !
Al-Haddar le paresseux ? Ton frère ?
Bonne soirée Carnetsparesseux :/)
bien vu Valentyne ! Mais si ce paresseux est mon frère, alors je suis aussi un des frères du barbier des 1001 nuits !
Et dans ce cas ma vie devrait être racontée dans les 1001 nuits.
la classe 🙂