Je me souviens de vous depuis si longtemps que pour moi vous avez toujours été là, aujourd’hui que vous n’êtes plus là.
Je me souviens des numéros lus en douce, au collège, des recueils (L’an 01, Les oiseaux sont des cons…) échangés sous le manteau, je me souviens des éclats de rire des « couvertures auxquelles vous avez échappé », des colères des éditos, des coups de gueule, de la joie de voir tomber les tabous qui valsaient comme des quilles sous vos plumes ; je me souviens du soleil de ces notions nouvelles pour moi, libre pensée, athéisme, anarchisme, que j’ai retrouvées chez Brassens ou Prévert.
Je me souviens qu’à votre école, ma curiosité s’est éveillée, mon esprit s’est aiguisé, que vous m’avez fait meilleur et moins obtus.
Je me souviens de votre humour acide qui dissolvait les graisses de la fatuité, des postures fausses et du mensonge ; je me souviens que l’absurdité bien maniée dégonfle les baudruches patriotique et va-t’en-guerre. Je me souviens que la vulgarité revendiquée met à nu les vulgarités insidieuses des conventions bourgeoises.
Je me souviens aussi de dessins ratés, d’intentions pas saisies. Je me souviens que j’ai parfois arrêté de vous lire, je me souviens que j’ai pas toujours ri à vos saillies. Et alors ?
Je me souviens des rages et des rires, de votre générosité, des utopies fécondes, des Le saviez-vous ?, des J’lai pas lu, pas vu, mais j’en ai entendu causer, des dessins de Charb, de Cabu, de Wolinski, des éditos et les billets de François Cavanna, de Bernard Maris (et tant d’autres j’ai pas la mémoire des noms).
Je me souviens que, derrière la provocation jubilatoire, vous étiez sans haine et sans illusion, que vous saviez à quoi vous en tenir sur la surabondance de bêtise crasse, de méchanceté, de jalousie, de courte pensée et d’imbéciles furieux qui a fini par vous emporter.
Je me souviendrai, mais en dernier, des crocodiles qui vous pleurent ostensiblement, soulagés de ne plus avoir à vous craindre.
Et je me souviendrai de l’ironie amère qui fait que, bien malgré vous, les plis du drapeau recouvrent aujourd’hui vos colères, vos rires et vos mots.
* * *
Pour réfléchir à la suite, lire l’entretien de Luz dans les Inrocks.
Tout est dit. Merci. Et pour essayer de sourire: Charlie ne brûle pas, impossible d’allumer le feu avec…
…suite…Et merci pour le lien Luz dans les Inrocks. Je vais le faire circuler.
Merci Nounedeb.
Merci pour ce texte Carnetsparesseux 🙂
Et pour le lien aussi (luz restitue bien je trouve ce qui se passe à l’heure d’Internet : une caricature en France destinée à faire rire et réfléchir aura un tout autre impact à Kuala Lampur dans la journée …)
Je voulais dire » resitue » pas « restitue «
Merci Valentyne.
Je trouve très difficile de trouver comment s’exprimer dans un moment aussi horrible.
« resitue », d’accord ; mais « restitue » fait sens aussi. 🙂
Je n’ai pas lu souvent Charlie Hebdo, mais je l’ai toujours côtoyé; il faisait partie de ma vie, de mes questionnements…
Pour moi aussi, il était toujours dans le paysage, même si je le lisais pas régulièrement.
Je les connaissais depuis le début, ainsi que Hara-kiri, L’écho des savanes, Actuel…
Bref c’est une partie de ma jeunesse qui a disparu avec ces victimes de la barbarie.
Merci Leodamgan.
Salutaire friction sur les peaux cuirassees. Que dire de l’effet sur les épidermes irrités ?