La nuit du chat

Ce soir, la nuit arrive comme un gros chat noir en maraude.
Je l’ai aperçue tout à l’heure, dédaigneuse du plein air ivre de lumière, tapie aux creux des porches ténébreux. Elle s’est mise en route à son heure, dardant sa moustache au pied des haies et des murs où s’allongent les ombres. Nonchalante, elle a traversé la cour du pavillon du passeur, longé la rivière, rodé sur la route. De là, elle gagne les sous-bois au moment où sortent les chauves-souris. Enfin, plus grande à chaque instant, la voilà qui court dans les combes, gravit les collines, avant de se percher sur les cimes, d’un saut gigantesque, au bord du ciel.

Là, elle marque une pause, joue à chat avec les nuages, fait mine d’ignorer le dernier coin de ciel bleu qui vole encore au firmament. Elle attend le crépuscule. Quand vient le moment, un simple feulement suffit pour éteindre la chanson de l’oiseau bleu, là-haut (mais d’un seul bond elle pourrait le croquer), et pour envoyer le soleil se ressourcer derrière son édredon de nuages roses et blancs. Bon voyage !

Une fois maîtresse du ciel et de la terre, la bête sombre grandit encore, fait le dos rond et s’étire voluptueusement, les pattes aux quatre horizons. Elle ouvre un œil: une lune jaune s’allume, étoilée de pépites vertes.
Je l’observe amicalement : elle se love sur la terre, douillettement pelotonnée sur les bois et les prés, seulement vibrante d’un long ronronnement, prologue à une fête de sommeil, de solitude et de silence.

A quoi rêve cette nuit-chat ?

Certainement pas aux chiens qui, dès le matin, aboient pour annoncer le recommencement du jour et l’épuisante sarabande des hommes, ces victimes dévouées de l’insomnie quotidienne.

 

*  *  *

Fantaisie écrite pour les 37e plumes d’Asphodèle, sur le thème de la nuit ; les mots proposés (on pouvait en retirer deux) : vol, chat, transfigurer, chauve, blanc, solitude, silence, matin, se ressourcer, ivresse, ténébreux, épuisant, insomnie, étoilé, fête, rêver, sommeil, voyage, chanson, fesse, recommencement, voluptueux, sarabande, passeur, prologue, pavillon.

30 commentaires

  1. Oh, j’aime beaucoup cette nuit chat ! Ca donne envie d’aller se promener en pleine nuit

  2. Tu es aussi un poète Paresseux !!! J’ai adoré ce texte félin ! Tu me donnerais presque envie qu’il refasse déjà nuit pour voir un lever de lune entre les arbres et vagabonder tel un chat dans mes rêves, jusqu’au petit matin… Comme Val, j’ai aimé le passage avec les nuages, mais ce n’est un secret pour personne, j’adore les nuages ! un beau vol de nuit ! 😉

  3. J’adore la poésie contenue dans ton texte et particulièrement : elle ouvre un oeil, une lune jaune s’allume, étoilée de pépites vertes ; visuel, onirique, je me répète j’adore.

    Bon dimanche.

  4. Une autre vie pour la nuit, a-t-elle aussi 7 vies ?
    Excellente idée cette personnalisation. J’aurais aimé y penser aussi 😉
    Bises de Lyon

    • Merci, Soene, Coquelicot,Monesille, Asphodèle, Adrienne, Janick, Valentyne, ClaudiaLucia, Celestine, Martine et Martine (et tous les autres).

      Paresseux, je fais une réponse tardive et collective pour vous remercier toutes et tous de vos commentaires qui me touchent beaucoup ; je remercie aussi ceux qui ont eu la gentillesse de ne pas laisser de commentaires désagréables 🙂

      Soene, si l’idée de la nuit / chat t’inspire, elle est à toi (une nuit-lion ?)
      et…la nuit a t-elle sept vies ? je ne sais pas, mais ta remarque me donne envie d’essayer de lui en imaginer d’autres…à suivre !

  5. Superbe fantaisie de chat à l’encre de nuit débordante de sympathie.
    La nuit est de coton ici. Ce qui fait une vie de plus ou pas ?

    • Merci Jobougon ;
      mais certainenement : le coton, l’ouate, la bourre, le feutre, la laine-en-pelote, le matelassé, le coussineux… autant de nuits et de vies possibles 🙂

  6. Je vois que tes nuits blanches te ramènent sur des textes ad hoc… Je l’ai relu, il est vraiment beau ce texte qui déploie ses ailes félinement…comme la nuit quand elle n’est ni trop blanche ni trop sombre…

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