Résumé de l’épisode précédent : « Conscient de ses effets – ça n’est sans doute pas la première fois qu’il raconte cette histoire – et un poil cabotin, Cause-Toujours se tait et vide son verre. »
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Mais Va-Savoir ne s’en laisse pas conter :
« Comment ça, le tour est joué ? Sauf votre respect, Cause-Toujours, du fruit, sous terre, ça pourrirait ! Et puis le sucre ? il en faut pour faire une confiture ; il sort d’où ? D’une carrière de sucre exploitée par des nains sucriers ?
– Moquez-vous sans savoir, c’est de votre âge. C’est normal, j’ai oublié de vous parler des ruches. Elles sont là-haut depuis fort longtemps, sans doute installées par des gaulois évitant les légions, ou peut-être par des mérovingiens fuyant une bande vandale. Les gaulois sont redescendus dans la plaine, mais les abeilles sont restées et, avec elles, le miel. Dès lors, qu’une secousse entraîne quelques ruches en sus des arbres fruitiers, et voilà le travail.
Ajoutons qu’au siècle dernier un de mes aïeux, agronome philanthrope, a tenté l’expérience d’acclimater dans les Quatre-Coins des betteraves de Picardie. Il s’y est ruiné, d’ailleurs, mais ses betteraves sucrières ont certainement fait souche. Il n’y a pas de raison de refuser de penser qu’un carré d’entre elles finisse de temps à autre dans une crevasse, avec les fruits.
– Admettons, mais du fruit, même mêlé de miel ou saupoudré de sucre, ça pourrira toujours… faut du chaud pour faire la confiture, non ?
– Et c’est là que je vous attendais : avez-vous oublié l’origine volcanique du massif ? Profond là-dessous, ça bouillonne encore chaud… Il faut donc que, hasard du sous-sol, mystère de la géothermie, une fissure conduise de la lave à proximité raisonnable de la cavité remplie de fruits et de betterave (faudrait pas non plus que ça chauffe trop, sinon, ça collerait), et voilà le travail. J’ajoute que de petits mouvements souterrains expliquent à merveille les pressions permettant l’apparition et l’extinction des sources de confitures… et, de fait, on comprend que les gars du coin n’essaient même pas de détecter ces résurgences trop aléatoires ; et puis aussi bien, c’est trop loin pour valoir la peine d’en ramener, à pied – deux jours de marche – quoi, deux paniers à la fois, une hotte au grand maximum ? Non, il faudrait des moyens qu’on n’a pas par ici.
Quoi-Encore s’arrache à sa rêverie – mine de mirabelle, caverne d’abricot, crevasse de rhubarbe, puits de quetsche, carrière de reine-claude, source de cynorhodon, fontaine de pêche de vigne, ruisseau de gelée de groseille, lac de myrtille, voire (si le volcan se réveillait !) éruption de cerise et coulée de coulis de framboise – et dit :
– Oui, expliqué comme ça, pourquoi pas ?
Cause-Toujours reprend :
– Comme vous dites, pourquoi pas ? Je dois vous dire que moi, j’y suis allé, aux Quatre-Coins, et j’en ai jamais vu ni goûté, de ces fontaines de confitures. Mais objectivement, je ne vois aucune raison de douter de l’histoire de Congés-Payés. J’ajoute que d’autres y croient, et notamment un groupe alimentaire suisse, qui a pris contact avec la mairie depuis la parution de l’article du Journal cantonal ; et ce groupe alimentaire voit clairement l’intérêt d’exploiter, industriellement, par forage, ces mines de confitures : un gisement pareil, constitué sur des centaines d’années ! Une pleine montagne de confiture qui attend juste d’être embocallée… ça fait réfléchir, surtout quand le prix du sucre flambe, que celui le gaz s’envole et que les fruits ne sont jamais à l’abri d’une mauvaise saison. Et puis de nos jours, la dimension écolo et naturelle, c’est une sacrée plus-value sur le marché…
Va-Savoir, qui n’a décidemment ni le bec sucré ni l’imagination de Quoi-Encore, est plus incisif :
– Et ces forages, ça serait plutôt une aubaine pour la commune et les propriétaires du coin, non ?
Cause-Toujours finit son verre posément :
– Oh là, il ne faut pas s’emballer ; supposition qu’ils installent des puits de mine là-haut, des canalisations à travers la montagne, une usine de mise en bocaux dans la vallée, sans compter la ronde des camions de livraison, ça serait surtout de l’embarras et des tracas pour nous autres. Est-ce qu’on veut vraiment ça ?
Et puis d’ailleurs, faudrait d’abord qu’ils viennent ; et je ne jure pas qu’ils trouveront quelque chose. La montagne est grande, et aussi haute que profonde. Mais c’est vrai que, l’un dans l’autre, en imaginant qu’ils fassent quelques sondages, rien qu’entre les nuitées et les repas des équipes techniques, les locations de terrain pour les études préliminaires, sans même parler des taxes communales et des aides au développement productif du redressement national, ça peut toujours mettre de la confiture sur la tartine… et pour une fois, un article du Journal cantonal du canton des Trois-Compotes me paierait les réparations de la toiture de la grange.
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Notons que cette histoire offre quelques similitudes avec la découverte du Meat-land par le Capitaine Cap, rapportée notamment par Alphonse Allais (voir le 3e chapitre)
Il s’agit bien sûr d’une fiction. Toutefois, les noms de lieux et de personnes ont été modifié pour préserver la vie privée des personnages, les sources du Journal cantonal du canton des Trois-Compotes et les mines de confitures des Quatre-Coins.
[…] la suite est là […]
Un haïku de confiture, serait-ce de la pâte de fruit?
je ne sais pas, mais ça donne envie de le croire 🙂
Protégés ? Pas si bien que ça. Des rumeurs prétendent même qu’au fond des mines de confitures des Quatre-Coins, on trouverait des gisements de pâtes de fruits. D’autres affirment avoir vu des fruits confits rouler sur les pentes du volcan. 🙂
Attention, il ne faut pas croire toutes les rumeurs 🙂
Merci de votre visite,
Ha ça y est ! je me suis régalée avec cette histoire de confitures ! Le lien avec Confiteor (fallait le trouver) (qui signifie « je me confesse ») (alors ?) donc le lien est à mourir de rire mais c’est bien de faire perdurer des légendes et c’est si bien raconté ! Pour les soirées d’hiver, à la veillée, on ne doit pas s’ennuyer avec toi !!! 😆
Super, je vais lire l’histoire en lecture plaisir à mes élèves, ils vont adorer !
chouette ! je vais devenir un auteur du « programme » 🙂
;-D
Je te dirai les réactions des enfants, c’est promis !