La Tortue et le Lièvre

Rien ne sert de courir ; il faut partir à point.
La Tortue et le Lièvre en sont un témoignage.
– « Gageons, dit l’un des deux, que vous n’atteindrez point
Si tôt que moi ce but. »
-« Si tôt ? »
-« Etes-vous sage ? »
Ainsi naquit la brouille entre les deux compères
Qui jusqu’à ce matin s’entendaient comme frères.
Depuis, Dame Tortue s’épuise à arpenter la lande ;
Le Lièvre remet son départ aux calendes :
Boudant en son boudoir, le vif animal,
Peu soucieux de gagner une course inégale
Laisse sa piètre et têtue adversaire
Trotter vers le trophée de lierre.
Levant l’œil soudain, il voit la Tortue
S’arrêter à trois pattes du but.
A trop forcer son train de sénateur,
La commère cale son moteur (arrêt du cœur ?)
Et sous sa carapace voit défiler sa vie.
Lièvre part comme un trait ; Les efforts qu’il fit
-Et quatre graines d’ellébore- ranimèrent la malade.
Une fois que ses bons soins ont réduit le tangage
Et que la rescapée peut goûter une salade,
Lièvre lui tient à peu près ce langage :
– « Amie tortue, quelle étrange raison
Vous faisait galoper portant votre maison ?
Cours-je avec mon gite ? la niche suit-elle le chien ?
Quel oiseau vole avec le nid qui l’abrite ?
-Exceptons s’il vous plait le beau Bernard l’hermite-
Pourquoi faire tant d’effort ? à quoi bon tant de hâte ?
Rien ne sert de mourir : on part toujours à temps,
Il vaut mieux prendre soin et de soi et des siens,
Vivre bien et longtemps.
Et, s’il faut courir… avoir de longues pattes ».

* * *

Et si les héros échangeaient leur place ? Voici une neuvième fable de Jean de La Fontaine « retournée » ; il s’agit de la dixième fable du sixième livre, dont la version originale est visible sur le site du musée Jean de la Fontaine à Chateau-Thierry. Les huit fables déjà retournées  sont rangées là ; on les trouve aussi ici, avec les autres textes « retournés ».

11 commentaires

    • Merci !
      j’avoue que j’ai bien aimé découvrir cette vocation de secouriste chez le lièvre (avec de l’ellebore dans sa trousse d’urgentiste) .
      Mais j’espère que la tortue ne parait pas antipathique par ma faute, juste un peu têtue.

  1. je me sens tellement tortue courante par les chemins caillouteux – auriez-vous trois grains d’ellébore ? un bel exercice de style.

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