Un beau jour le Rat des champs
Invite le Rat des villes,
D’une façon fort civile,
À un pique-nique aux champs.
Le régal est bien honnête,
Fourni en graines et en grains
Mais le Rat des villes, c’est bête
Ne sait profiter de rien.
Les orties piquent ses pattes
Les abeilles font du bruit
Les fourmis passent sans hâte
Ni gêne, à côté de lui.
Les grands espaces l’indisposent,
Le soleil l’éblouit,
Le bon air le rend morose,
Il s’inquiète de la pluie.
Soudain il dit au Rat des champs :
– « Assez joué à l’Émile
Merci gars, moi j’fous mon camp,
Dès ce soir, je rentre en ville,
D’ac’ j’y croûte du from’ton
Bien dur, et peu à la fois.
Recta, c’est pas tes oignons
Si on y passe de piège en chat.
Mais mézigue là-bas j’suis caïd,
Et si l’coinstot est pas select’
Dans les bistrots on m’respect’
Mêm’ si j’vadrouill’ l’ventre vide ».
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Et si les héros échangeaient leur rôle ? Vertige de la faim et de l’anachronisme, le Rat des villes finit par emprunter quelques accents à Aristide Bruant et Pierre Mac Orlan. La version originale de la onzième fable du premier Livre de Jean de La Fontaine est ici, sur le site de toutes les fables, Shanaweb.
Pourquoi les orties « piquette »? C’est du vin d’orties?
haha ! les orties « piquent » et pas qu’un peu….nos lecteurs auront corrigé d’eux même 🙂
Personnellement, j’aime bien voir qu’un texte a été travaillé. Me rendre compte que le choix des mots est passé à la moulinette, que les rimes ont été chiadées que toutes les tournures ont été envisagées et que la dernière était la meilleure… Bref qu’on a mis un point d’honneur à faire de son mieux et qu’on s’en est donné le temps pour satisfaire le lecteur afin de ne pas lui laisser l’impression que l’affaire a été bâclée en cinq minutes.
Dans ce texte, le changement de registre, soudain (c’est votre mot), crée un anachronisme déroutant dont on se demande s’il est dû à une impulsion (une lubie, un pari oulipien ?) plus qu’à une réelle réflexion. Que vient faire cet argot des années cinquante, façon tontons flingueurs ? (pourquoi typiquement celui-ci d’ailleurs ?) Cette étrange césure (elle coupe le texte en deux) apporte-t-elle quelque chose de plus ? Non. L’eut-il dit en chinois que l’histoire n’aurait pas varié d’un iota.
Fable à portée écologique sans doute (qui, selon moi, est très proche du Loup et du Chien), mais dont on (je) ne discerne pas clairement la morale (et pourtant je sais à l’avance qu’elle doit être contraire à l’originale !).
Je reconnais que ça m’arrive aussi ; ce n’est pas toujours facile de faire passer une idée, mais je pense que la voie empruntée ici y est pour beaucoup. Où donc le citadin a-t-il trouvé un manque de respect qu’il oppose au rural à la fin ? Chez les abeilles, les orties et les fourmis ? Si c’est le cas, j’ai du mal à l’admettre.
C’est un petit peu décevant, car le début était conforme (même si la proximité de : le soleil l’éblouit » « il s’inquiète de la pluie » laisse songeur aussi bien sur le sens que sur la rime).Mais je reste déboussolé par le choix de ce registre. N’aurait-il pas fallu faire parler le paysan en patois pour lui donner sa légitimité ?
Un tantinet déçu, mais, consolation, j’aurais appris « coinstot ». Bien que je me vois mal l’utiliser un jour.
Merci pour la lecture.
Vous me faites bien de l’honneur en pensant que je suis assez doué pour « bâcler l’affaire en cinq minutes ». Il me faut beaucoup plus de temps même pour un texte qui déboussole et déçoit.
En vérité, je suis assez étonnée de lire ce genre de commentaires qui se regarde beaucoup écrire, se masturbe profondémment le ciboulot, tout en oubliant l’oralité originelle de la fable, l’importance de la musique/rythme des mots.
La Fontaine n’a pas oublié une telle chose, alors que ses partis pris pour Gassendi Vs Descartes (les souris et le chat-huant) montrent à quel point il n’était pas un bleu en Philo.
Le « je reconnais que ça m’arrive aussi » est profondémment narcissique et déplacé.
De même que de s’offusquer de l’argot en 2014… « Coinstot » est très présent chez Boris Vian (« je voudrais pas crever » par exemple), étonnant de découvrir ce mot tout en se piquant de critique littéraire.
Moi j’aime bien l’arrivée de l’argot: on passe d’un seul coup du rat décent au rat de Belleville.
Il me parle aussi celui-ci…
J’ai quelques souvenirs de mes jeunes premiers pas à la campagne. Les bottes en caoutchouc pour la gadoue (y’en avait partout), les oies qui nous coursaient, les toilettes au fond du jardin, le lait qui sortait des pies de vaches et pas du magasin, les œufs j’en parle même pas, le lapin pendu qui se faisait dépecer… Et tous ces mots que je ne comprenais pas… J’ai découvert beaucoup de choses et aussi vu des merveilles, comme la naissance d’un veau.
Oups je fais ma pipelette 🙂
Merci pour cette fable, je lui trouve une jolie personnalité.
Belle journée !
Merci ; il faudrait raconter tout ça…l’occasion d’un poème en prose ?