Le Roseau et le Chêne

Le Roseau un jour dit au Chêne :
– Vous avez bien sujet d’accuser la Nature ;
Avant que vous soyez mature,
Le porc mange vos glands, quelle peine ;

Géant, vous êtes le séjour des hôtes de ces bois,
Roitelets, écureuils, trouvent à se loger
Gratis, dans vos branches sans payer de loyer.
Le pic-vert éprouve ses forces
Et son bec dur sur votre écorce.
Enfin, le bucheron vient au débotté
Vous abat : à l’instant, vous voilà débité.
La nature envers vous me semble bien sans gêne.
– Votre compassion, lui répondit le Chêne,
Part d’un bon naturel ; mais quittez ce souci.
Ce n’est pas de vos bois que l’on fera des tables,
Fauteuil, tabouret, bahut, placard ou lit.
Ce commerce vous vexe, il n’est pas équitable :
Qui voudrait faire de vous des planches ou des sabots ?
Vous êtes inutile, enfin. Comme il disait ces mots,
Du bout de l’horizon accourt un pêcheur étourdi
qui sitôt arrivé au bord de l’eau
S’aperçoit que sa canne est restée au logis.
Il considère l’Arbre, mesure le Roseau
Celui-là est grand, et dur, et haut.
Celui-ci, plus petit, plie et ne rompt pas.
Le choix est vite fait :
En un coup de couteau voici que le Roseau
Surveille le bouchon qui fait des ronds dans l’eau.
Puis, trouvant le temps frais et le sol trop bas,
Le quidam recherche siège et flambée,
En attendant que morde quelque menue sardine.
Le choix ne souffre pas de retard :
Sortant de son bissac une bonne cognée
Notre pêcheur débite sans trop plaindre son sort,
Celui de qui la tête au Ciel était voisine
Et dont les pieds touchaient à l’Empire des Morts.

Pour les amateurs, la version de Jean de la Fontaine est ici, sur le site du musée Jean de La Fontaine à Château-Thierry.

6 commentaires

  1. C’était la fable préférée de La Fontaine (on dit aussi qu’elle a participé à l’origine du judo- sous toutes réserves-).
    On trouve dans votre version de l’intertextualité sympathique. Des reprises connues ou moins, un registre qui se veut d’époque se mêle à des expressions modernes. J’ai trouvé l’emploi du mot « Arbuste » un peu étrange pour un chêne, et j’ai eu du mal à saisir sur lequel des deux le pêcheur étourdi (partir à la pêche sans sa cane et ne s’en apercevoir qu’une fois arrivé !) abat son excellente « cognée » :
    L’inversion du titre, dans l’esprit de l’échange de héros, la logique (le grand roseau fait la canne à pêche) et « Sans trop d’effort » indiquent le roseau, tandis que « la tête au ciel était voisine » et la « flambée » indiquent le chêne, comme dans la fable originale. Selon moi bien entendu. Ce n’est que ma lecture.
    Pour l’ensemble, j’apprécie toujours l’audace de bousculer la tradition. Je regrette l’absence d’alternance masculin/féminin et les rimes entre singuliers et pluriels, alors que la forme générale est suivie (même nombre de vers ?).
    La ville de Chateau- Thierry organise chaque année un concours de fables.
    Bon moment de lecture.

  2. Merci de votre lecture attentive ; vous avez raison, je vais retravailler la fin (plus claire dans ma tête qu’à la lecture…). Cette fois, l’échange des héros m’a amené à leur faire faire un tour complet, et personne ne s’en sort : le roseau rencontre le couteau et le chêne, la cognée…la morale qui se dessine est que rien n’échappe à son destin, surtout quand l’homme (l’éternel prédateur) entre en scène.

    par exemple :
    Petit, grand, dur ou souple, en couple ou solitaire,
    Il faut éviter d’être jaloux ou fier : on croisera un jour
    Le quidam fatal et son fer qui tranche sans détour.

    (edit : chasse aux fautes)

    • Entre déterminisme et libre arbitre, il est facile de faire deux morales concernant le destin.

      Il faut craindre du ciel le pouvoir absolu :
      Quoiqu’il arrive un jour, c’est qu’il l’aura voulu.

      Quoi qu’il puisse arriver, quel que soit le problème
      On est bien avisé de s’en prendre à soi-même.

      Pour les méfaits de l’homme, j’en avais une en boite pour la fable du Chameau et des Bâtons flottants :

      Lorsqu’on a déjà vu les Hommes se conduire
      Il vaut mieux, par principe, imaginer le pire.

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