La petite Poucette (7)

La petite Poucette entendait bien ce que disait la poule, car les ogres comprennent ce que disent leurs futurs repas, mais elle ne s’y intéressait pas (qui écoute vraiment ce qui se raconte dans son assiette ?). Elle s’approcha des poules pendues et tâta avec circonspection celle qui caquetait. Comprenant ses intentions, celle-ci changea de ton sinon d’intonation :

– Attention, ma petite, vous allez faire une lamentable erreur, commettre un acte que nous regretterions toutes. Regardez, nous sommes maigrelettes, tout comme vous (ce qui était un gros mensonge, particulièrement en ce qui la concernait) ; et puis pour nous manger, il faudrait nous plumer et nous rôtir. Cela ne se fera pas sans effort et sans bruit. Si le bucheron dort comme une buche, sa femme a l’oreille fine. Et vos sœurettes ont le nez aiguisé : l’odeur de poulet rôti les réveillera et il faudra nous partager avec elles… six poulettes pour sept fillettes, ça ne va pas vous en laisser beaucoup…Et je ne pense pas que le bucheron et sa bucheronne apprécient beaucoup que vous fouiniassiez chez eux en pleine nuit….Allez, soyez maline, pour une fois : nous sommes dans le même camp que vous, petite gourde ! Libérez-nous et nous vous aiderons ! Toutes ensembles, tout devient possible !

Pour le coup, la petite Poucette se dit que la poule pouvait bien avoir raison et dénoua la ficelle qui maintenait les volailles ; celles-ci tombent sur le plancher en soulevant un nuage de plume et de poussière, et, roulant sur elles-mêmes avec une étonnante vivacité, se mettent à donner de grands coups de bec sur les pieds nus de la fillette !

D’un bon coup de pied, celle-ci se débarrasse des premières assaillantes (qui chargent aux cris de « Où est le sac de grains, pauvre petite idiote ! » et « Nourris nous !) et, attrapant un balai, se réfugie dans un coin de la resserre. Las, malgré de furieux coups de balais, à une contre six, elle n’a pas l’avantage et bientôt le cercle des poules se referme inexorablement sur elle…A ce moment, elle sent dans son dos une paire de grandes chausses éculées. Voilà de quoi protéger ses pieds nus ! Mais à peine a-t’elle glissé ses petits pieds dans les immenses bottes que celles-ci rétrécissent jusqu’à la bonne pointure et l’entrainent dans une course folle : car c’étaient des bottes magiques, les fameuses bottes de sept lieues et il faut avoir un peu d’autorité pour les obliger à aller où l’on veut marcher. Alors, après tant de temps passé au fond d’une resserre, et d’être aux pieds d’une petite fillette si légère, pensez si elles s’en donnèrent à cœur joie, filant hors de la resserre, de la cuisine, de la maison du bucheron, et bientôt à travers bois !

C’est ainsi que la petite Poucette, échappant aux poules, se trouva en pleine nuit, au milieu de la forêt, toute seule. Elle n’avait pas peur (les ogres ne connaissent la peur que par des contes qui les amusent beaucoup), mais elle était fâchée car elle ne pouvait pas attraper ni les champignons que les bottes écrasaient, ni les baies qui poussaient dans les buissons, ni les bêtes sauvages qui bondissaient autour d’elle : les bottes n’en faisait qu’à leur tête et ne s’intéressaient ni aux champignons, ni aux baies, et pas plus aux écureuils, aux hérissons et aux lapereaux qui déguerpissaient sur leur passage. Et elle n’avait rien mangé depuis le bout de bougie rance…

Elle courut jusqu’au matin, aussi longtemps que les bottes voulurent la porter à travers les buissons, entre les halliers, sous les ramages, sur les mousses et à travers les fougères. Elle traversa même un roncier si épais, si haut, si dru, que même un écureuil ne semblait pas pouvoir passer à travers ; si elle passa, c’était certainement grâce au pouvoir des bottes.

Enfin, les bottes de sept lieues décidèrent qu’elles avaient assez marché et tombèrent d’elles-mêmes du pied de la petite Poucette. Cela arriva au bord d’une clairière où la fillette aperçut une maisonnette. Pieds nus, elle y pénétra pour s’y reposer. Dans la maisonnette, tout était minuscule, gracieux et propre. On y voyait une petite table couverte d’une nappe blanche, avec sept petites assiettes et sept petites cuillères, sept petites fourchettes et sept petits couteaux, et aussi sept petits gobelets. Contre le mur, il y avait sept petits lits recouverts de courtepointes brodées.

La petite Poucette avait si faim qu’elle prit dans chaque assiette toute la viande et les saucisses, sauça la sauce avec le pain et mangea aussi les légumes. Puis, rassasiée, elle se coucha dans le premier lit de la rangée et s’endormit. Dans son sommeil, elle rêva qu’elle entendait des voix.
La première disait :
– Qui s’est assis sur ma chaise ?
La seconde :
– Qui a mangé dans mon assiette ?
La troisième :
– Qui a pris ma viande ?
La quatrième et la cinquième disaient :
– Qui a fini les saucisses ?
Et :
– Tiens, il n’y a plus de jambon ?
– On n’avait pas fait des légumes ?
Dit la sixième, tandis que la septième murmurait :
– Mais qui dort dans mon lit ?

à suivre…ici

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