Sa femme le rejoignit, tandis que, derrière elle, la petite Poucette risquait un coup d’œil dans la pièce. Et voilà ce qu’elle vit : la cuisine était dans un remarquable désordre, marmite renversée, soupe répandue, placards vidés, vaisselles en miettes, tiroirs ouverts, couverts éparpillés, casseroles orphelines…comme toute cuisine qui a servi de terrain de jeu à une demi douzaine d’ogresses.
Mais ce qui attirait surtout le regard, c’était, sur la table, un grand plat à gâteau….Vide ! La petite Poucette comprit alors que la femme du bucheron avait envoyé son bucheron de mari dans la cuisine pour qu’il y découvre son gâteau d’anniversaire, une grande bûche aux marrons (forcément). Mais y cacher les fillettes avait été la goutte qui avait fait déborder le pot de crème : en bonnes ogresses, elles avaient dévoré la bûche, et maintenant, debout autour de la table, les mains et le visage couverts de miettes, de marrons, de sucre-glace, de fruits confits et de crème, elles fixaient le bucheron et sa femme. Alors celui-ci se tourna vers celle-là et dit :
– Femme, quelle belle surprise ! Quelles jolies fillettes ! Compte, il y en a bien une demi-douzaine…ça alors !! Elles remplaceront avantageusement ces idiots de garçons qui se sont perdus en forêt l’an dernier. Plus tard, nous les marierons avec des bucherons et j’aurai la plus grande entreprise de bucheronnage de la forêt. Ah, quel beau cadeau d’anniversaire !
Et, tout doucement, il les prit dans ses grands bras (les petites ogresses restèrent immobiles ; de fait, elles digéraient le gâteau à la crème qui était un peu lourd), les porta à l’étage et les coucha dans sept petits lits. Puis, sortant de la chambre, il dit :
– C’est assez de surprise pour aujourd’hui ! Allons dormir. Demain, quand elles se réveilleront, tu leur donneras un bain chaud et une bonne soupe de légume !
Sa femme lui répondit :
– D’accord, tu pourras marier les aînées à qui tu veux ; moi je garde la cadette pour le ménage et la vaisselle.
La petite Poucette qui avait tout entendu ne sautait pas de joie à l’idée d’un bain matinal et d’une soupe de légume. De plus, encore s’occuper du ménage ? C’était bien la peine d’avoir été abandonnée en forêt par ses parents ! Très peu pour elle. Autre souci, elle sentait son estomac remuer, gargouiller… quelle sensation inhabituelle ! Est-ce qu’elle était malade, à cause du froid et de la pluie par exemple ? Non, c’était idiot, une ogresse n’est jamais malade. Est-ce qu’elle avait peur ? Encore une idée idiote ! Une ogresse n’a pas peur, elle fait peur. L’évidence la frappa brusquement : elle avait faim ! Ah ! C’était donc ça, la faim ? Hé bien c’était vraiment très désagréable. Elle décida d’aller chercher à manger, et descendit l’escalier sur la pointe des pieds. Mais la cuisine ne devait pas contenir grand-chose de comestible après le passage de ses sœurettes. Quant au garde-manger, il était fermé à clef, tout comme la cave…
Enfin, sur la cheminée, elle trouva un trognon de bougie qui avait un vilain gout de suif rance, mais qui calma un instant son estomac grondant. Alors, dans le silence retrouvé, elle entendit, venant de la resserre qui était au fond de la cuisine, des caquètements sourds et indignés : il y avait là, quelque part, des poules ! La petite Poucette se tortilla dans l’encoignure, entre les pots vides et les sacs éventrés. Arrivée contre la paroi, elle tendit l’oreille : le caquètement se fit plus fort, puis, à un bruit que fit son ventre, s’arrêta net. Elle fit jouer une planche mal fixée, et, comme elle était vraiment mince, pu se glisser dans la resserre.
Là, pendues par les pattes, une demi-douzaine de poules que la cloison de bois avait protégées de la gloutonnerie de ses sœurs aînées, la regardaient venir avec, dans leur oeil rond, tout le mépris et l’indignation qu’une poule pendue par les pattes peut exprimer. Comme elle les soupesait du regard, se demandant par laquelle elle allait commencer son repas, la plus dodue se tourna vers ses voisines et leur tint à peu près ce langage :
– Mes amies, voyez à quelle déchéance nous sommes rendu. Déjà, nous pendre par les pieds, nous, des pondeuses ! Nous ne sommes pas des chauves-souris. C’était bien la peine d’éviter les renards et d’errer en pleine forêt. Et maintenant, on nous envoie ça : une fillette miniature, à peine plus grande qu’un poussin. Et en pleine nuit, et sans lumière, et les mains vides : évidemment, cette petite sotte a oublié d’apporter le sac de grain…Mais à quoi pense cette souillon ?
Les fameuses poulettes pendues au plafond :-0
Le suspens est terrrrrrible !
😀