La petite Poucette (4)

L’Ogre mena donc les sept fillettes dans le coin de la forêt le plus épais et le plus obscur, on mangea, il fit semblant de s’endormir, puis fila en ogre. Il n’oublia pas de tirer sur la cordelette pour ramener les aînées, d’abord tout doucement, afin que la petite Poucette ne sente pas la cordelette lui filer entre les doigts ; puis, convaincu de s’être débarrassé de la cadette, il fila sans se retourner, à la façon des ogres, certain de ramener à la maison les six filles qu’il fallait.

Mais il ne savait pas que celles-ci, pour mieux chasser les écureuils, s’étaient détachées pendant sa sieste, passant la ficelle à la poignée de leurs paniers ; il ne ramena donc que six paniers vides, et en fut fort marri, tout comme sa femme l’Ogresse.
Lorsque, au beau milieu des bois, les fillettes s’aperçurent du départ de l’Ogre, elles ne fondirent pas en larme. Elles se tournèrent vers leur cadette avec un grand sourire :
– Papa Ogre a encore filé, il est parti avec sa ficelle et nos paniers ! Quelle bonne blague il nous a fait là ! A toi de jouer, nous te suivons, ça sera amusant. Ramène-nous à la maison comme l’autre fois ! Sans mot dire, la petite Poucette prit la tête de la file de fillettes, qui se mirent en marche en chantant :

– Un du pain, deux des oeufs, trois pâtés de foie, quatre patates (les fillettes disaient cate au lieu de quatre, sinon elles auraient du dire patatre à la place de patate, pour que ça rime), cinq on trinque, six écrevisses, sept vide ton assiette, huit les carottes sont cuites, neuf encore des œufs ? (les petites ogresses prononçaient euf, pour la rime, et non pas eu , comme il eut été plus correct), dix rôtis, onze des pêches (ce qui voulait dire « on se dépêche », vous l’aviez compris).

Arrivée là, la chanson reprenait au début, car les ogres ne comptent guère au-delà de onze, à cause de la rareté des aliments rimant en ouze. Il est vrai que parfois les fillettes passaient directement à treize, à cause des fraises dont elles raffolaient, mais c’était un peu triché.

La petite Poucette comptait retrouver son chemin en suivant les trognons de saucisses qu’elle avait semées le long du chemin, aussi fut-elle bien surprise de n’en rien retrouver ; sans doute les renards étaient venus qui avaient tout mangé. Puis la nuit vint, et il s’éleva un grand vent, et une grosse pluie tomba qui les trempa jusqu’aux os. Dans le noir, le vent faisait comme des loups qui hurlent. Peut-être même y avait-il des vrais loups, mais si c’est le cas ceux-ci se tinrent prudemment à l’écart, hors de porté des sept petites ogresses affamées. Enfin, la petite Poucette, à force de tourner la tête de tous côtés, finit par repérer la petite lueur d’une chandelle. Elle conduisit ainsi ses sœurs jusqu’à la maison d’un bucheron située au beau milieu de la forêt. Elle frappe à la porte, la femme du bucheron vient ouvrir. Un dialogue s’engage :

– Que voulez-vous ?
– Nous sommes sept pauvres fillettes perdues dans la forêt, piaulent en choeur les voix des six aînées, en file derrière la petite Poucette qui reste coite. Aucune n’ajoute: nous sommes sept ogresses, non pour éviter d’effrayer la femme, mais parce que ça leur parait évident : elles savent bien qu’elles sont des ogresses ; la femme doit donc le savoir aussi.

En effet, la femme répond :
– Tout ça, je le vois bien. Mais que voulez-vous ?
– Il pleut, il fait nuit et il fait froid. Personne n’ajoute : et il fait faim, parce que cela aussi parait évident vu l’heure qu’il est.

A part elle, la petite Poucette se dit que ses sœurs ont bien de la salive à perdre pour énoncer de telles évidences. La femme voit bien toute seule qu’elles sont sept pauvres filles perdues dans la nuit, et qu’il pleut, fait nuit et froid. Mais alors, pourquoi pose-t-elle des questions dont elle connait la réponse ?

à suivre...

l’épisode précédent est là

2 commentaires

  1. Pauvres petites ogresses….
    Grrrr…. elles auraient pu se taire et laisser leurs estomacs chanter famine.

    Petite note à l’auteur : ne manquerait-il pas un « que » dans la phrase :
    – Il pleut, il fait nuit et il fait froid. Personne n’ajoute : et il fait faim, parce cela aussi parait évident vu l’heure qu’il est.
    😉
    LA SUITE, LA SUITE, LA SUITE !!!

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