(épisode précédent)
La louve se tourna vers elle avec un grand sourire lupin, et répondit :
– C’est pour mieux te manger, fillette.
Et en disant ces mots, elle se prépara à la croquer sans autre forme de procès.
Mais avant qu’elle ait pu avancer une patte, des braises rougeoyantes tombèrent dans la tanière et roulèrent sur le tapis de feuilles mortes : aussitôt, une flamme bondit !
En effet, il faut savoir que les poules, vexées d’être laissées en arrière, avaient suivi la maigre fillette afin de la dénoncer au fermier. Celui-ci, une fois averti de la cachette de la fugueuse, avait envoyé chercher le chasseur. Celui-là accourut aussitôt, et, peu soucieux d’entrer bille en tête dans une tanière de loup, avait lancé les braises qui avaient provoqué un début d’incendie.
Ainsi pris entre deux feux, les deux loups et la fillette maigrelette se trouvaient en bien mauvaise posture : les premiers ne tenaient pas à affronter le chasseur, ni la fillette le fermier (bizarrement, les poules n’effrayaient personne, malgré leur épouvantable caractère) et ni louve, ni loup ni fillette ne souhaitaient griller vifs.
La fumée acre qui ne tarda pas à se dégager des feuilles était presque pire que la flamme qui mordait et roussissait les poils. Alors, la Grand’louve gonfla ses joues et souffla, souffla, souffla si fort que les feuilles enflammées s’envolèrent hors de la tanière et se répandirent dans la clairière. Le chasseur et le fermier n’eurent que le temps de se reculer ; profitant de ce répit pour tenter le tout pour le tout, les assiégés bondirent hors de la tanière. Et, à ce moment précis, arriva dans la clairière la Mère louve qui venait récupérer son panier.
Dès lors, la mêlée fut générale : chasseur et fermier contre louve et Grand’louve, dents et griffes contre haches et couteaux et flammes contre buissons, branches et troncs d’arbres (chêne ou châtaignier ?). Il serait trop long d’en raconter les péripéties ! Disons juste que dans la confusion, la fillette, d’un décisif coup de canif dans les fesses du fermier, fit dévier le coup de hache qui visait le louveteau ; un peu plus tard, celui-ci, bousculant la fillette, lui évita les longues dents de la Grand Louve. Le combat s’arrêta à la nuit tombante : l’obscurité et la fumée ne permettaient plus de savoir qui mordre, qui griffer, ni où donner du bâton où de la hache. Les combattants, de part et d’autre du brasier, échangèrent encore quelques promesses de vengeance, avec force cris et grognements. Puis chacun, plus ou moins éclopé, le poil roussi, des bleus un peu partout, rentra clopin-clopant, qui dans sa ferme, qui dans sa tanière. La petite pluie froide qui tomba toute la nuit eut raison du feu qui avait dévoré la clairière. Les poules, qui s’étaient prudemment tenues à l’écart de la bataille, ne réapparurent pas. Peut-être avaient-elles rencontré les renards.
Manquaient aussi à l’appel le louveteau et la fillette. On pleura leur disparition et l’ingratitude des enfants qu’on s’épuise à nourrir d’écureuils ou de croûtes de pain sec ; à qui il faut apprendre les ruses de la chasse aux oisillons et les trucs du ramassage des œufs ; qu’on s’échine à élever, à coups de pattes ou de trique, dans les valeurs et le respect dû aux aînés ; et qui un jour s’en vont sans même dire au revoir. Car les deux s’étaient esbignés pendant la bagarre, laissant les adultes vider leur querelle entre eux, et avait créé une association d’un genre nouveau : la fillette avait compris que, tout compte fait, un petit loup gris joueur et avec des dents pour la défendre valait bien mieux qu’un manchon en peau de bête. Le louveteau, pour son compte, trouvait qu’une fillette qui sait ouvrir la porte d’un potager était de meilleure compagnie qu’une famille de carnassiers.
Ils étaient partis loin d’ici, chercher un pays sans poule ni pot de beurre ni chêne ni moulin ni hiver ni couteau de poche ni fermier ni renard ni chasseur ni châtaignier ni galette.
Et nul ne les revit jamais, du moins de ce côté-ci de la forêt.
🙂
Bravo ! Enorme merci pour cette scène de batailles digne des grands films hollywoodiens et cette fin pleine de promesses d’un avenir radieux pour ces 2 petits là.
La forêt est grande… j’espère qu’on aura l’occasion de recroiser le chemin de ces 2 petits héros !!!
Merci ! Recroiser le loupiot et la loupiote ? hé, pourquoi pas !
Il y a aussi de bonne chances qu’on recroise quelques autres protagonistes d’ici peu (les poules ? le renard ?).
à suivre.
Je ne vous l’ai pas dit, mais l’autre soir…
Je me suis endormie comme un bébé, le sourire aux lèvres,
Après avoir lu votre conte…
Mais, chut… Que ceci reste entre nous !
Car voyez-vous, je suis bien trop grande pour ces choses là 🙂
Hé bien si c’est bien après la lecture, et pas pendant, je suis heureux d’avoir écrit un conte somnifère avec effet retard !
Merci 🙂
Oups non ! Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire…
En fait tous les tracas se sont envolés de mon esprit à la lecture de ce conte. 🙂
Truculent, fin et doté d’une rebondissante conclusion ! Jamais mêlée n’a été mieux contée, du carnets tout craché !